Au cours d’une campagne d’affichage menée en juin dans toute la ville, la mairie de Mâcon s’est vantée de disposer d’un réseau de 45 kilomètres de pistes cyclables « pour circuler autrement en ville ». Je passe rapidement sur le fait qu’il ne s’agit pas techniquement de « pistes » cyclables mais de « voies » cyclables, puisqu’une piste est séparée de la chaussée et du trottoir par un élément physique (voir la définition du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) et que Mâcon dispose de très peu d’aménagements de ce type. Ce sont majoritairement des « bandes » cyclables que l’on voit, simplement peintes sur la chaussée. Et pour pouvoir parler d’un « réseau », encore faudrait-il que celles-ci soient connectées entre elles – or elles sont nombreuses à s’arrêter brutalement.
On constate ainsi à Mâcon une grande différence entre les beaux discours du maire sur le vélo et la réalité des aménagements qui y sont dédiés. Avec, au cœur du problème, la question de la sécurité des usagers, dont il a été prouvé à maintes reprises qu’elle incitait (ou non) les habitants à se mettre au vélo. Or qui peut aujourd’hui dire qu’il se sent en sécurité lorsqu’il circule en ville à vélo ? J’en veux pour preuve le nombre d’usagers qui empruntent encore les trottoirs avec leur deux-roues, ceux qui ont renoncé à monter en selle par crainte du trafic routier, ainsi que le manque criant de pistes séparées de la chaussée. On pourrait aussi parler du défaut de stationnements dignes de ce nom aux endroits pertinents.
Sauf qu’à moins de se déplacer régulièrement à vélo en ville, on ne se rend pas compte de ces difficultés. C’est peut-être pour cela que les élus de la majorité se sentent autorisés à dire qu’ils engagent les finances de la ville en faveur d’une ville plus cyclable, alors que les aménagements réalisés à grands frais ne rendent pas de si grands services aux cyclistes.
Le maire de Mâcon a fait du vélo au moins une fois
C’est cette dichotomie que j’ai souhaité illustrer avec un exemple concret : la réalisation d’une voie cyclable au sud de la rue Vrémontoise, qui se situe à la sortie de Sennecé-lès-Mâcon en direction de Mâcon.
Cette liaison est intéressante à plus d’un titre. Tout d’abord, sa récente inauguration a été l’occasion pour le maire de se montrer sur un vélo, chose qui, si elle arrivait plus souvent, éviterait sans doute de gaspiller l’argent public dans des pistes cyclables au rabais. Ensuite, c’est un trajet que je n’avais encore jamais emprunté et qui comme vous allez le voir présente son lot de surprises. Enfin, Sennecé est typiquement le genre d’endroits d’où le centre de Mâcon est désormais accessible maintenant que les vélos à assistance électrique se sont démocratisés.

Lundi 5 septembre je réalise ainsi le « test » du tronçon cyclable de la rue Vrémontoise en partant de la mairie de Sennecé. Et le moins que je puisse dire c’est qu’il commence bien, puisqu’aucun aménagement particulier n’est prévu à cet endroit pour quitter le bourg à vélo. Je parcoure ainsi 600 m, dont une portion de la D103 où les automobilistes ont tendance à accélérer à la sortie du rond-point du Chai de Sennecé, avant de rejoindre un bout de bande cyclable.
Un « bout », puisque s’élance 50 m plus loin la fameuse voie cyclable de la rue Vrémontoise, dont la visite à vélo du maire devait attester de la qualité – du moins était-ce que j’espérais. En réalité, ce furent 670 m de pure déception.
Un trottoir géant
Commençons par les présentations : nous sommes ici sur un aménagement cyclable séparé de la route (bon point) mais partagé avec les piétons. Une cohabitation pas totalement absurde, à condition que les choses soient bien faites. Or qu’avons-nous là ? Une sorte de… trottoir géant. Je ne sais comment le dire autrement tant où il ne ressort à aucun moment que ce tronçon a été aménagé pour faciliter la vie des cyclistes (et je vous parle du ou de la cycliste qui va bosser ou faire une course à Mâcon, pas de celui en shorty moulant).
L’aménagement ne comporte en effet aucune couleur ou pictogramme qui le distingue du reste de la voirie. Un contraste visuel et quelques dessins sont pourtant l’assurance d’une bonne lisibilité de l’aménagement par tous. C’est d’autant plus utile dans la rue Vrémontoise que les sorties d’habitations ou de lotissements y sont nombreuses – une seule s’accompagne d’ailleurs d’un stop. Je suis donc contraint de rouler à faible vitesse afin d’anticiper d’éventuelles sorties de véhicules. Et donc je perds du temps. Est-ce censé m’inciter à faire du vélo ?

Autre conséquence de ce manque de lisibilité, des plots ont été installés au milieu de la voie pour éviter les stationnements sauvages, ce qui génère de l’inconfort pour les cyclistes car ce sont autant d’obstacles. N’aurait-il pas été moins cher de peindre cette voie d’une autre couleur pour lui donner de la visibilité, et décourager par la même occasion les automobilistes distraits ?
La « piste » se termine plus loin par une traversée obligatoire menant au large trottoir du pont qui surplombe l’A40. L’élan est quelque peu cassé, puisque toutes les voitures ne vous laissent pas automatiquement passer. Mais ceux qui empruntent régulièrement cet itinéraire le savent : c’est encore plus laborieux en sens inverse. En venant de Mâcon, vous traversez une première fois à cet endroit pour remonter la rue Vrémontoise. Sauf qu’après les 670 m de cette piste incroyablement géniale, vous êtes projetés sur la bande-cyclable à contre-sens, qui elle-même se termine au bout de 50 m. Et vous êtes bloqués. Il faut alors continuer sur le trottoir, ou traverser la D103, ou faire un détour par le parc de Sennecé. C’est loin d’être évident.
À vélo sur la départementale
En poursuivant vers Mâcon la déconvenue est la même. Après le pont de l’A40, je traverse une nouvelle route et après 50 m… plus rien. Du tout. À l’entrée de Sancé, il faut désormais poursuivre sur la route au milieu des voitures. Même limitée à 50 km/h, leur vitesse peut décourager bon nombre de cyclistes. Dans le bourg, la limitation passe à 30 km/h et l’on ressent moins le besoin d’une piste séparée de la route. Jusqu’à ressortir du village où les automobilistes accélèrent à nouveau.

Je parcoure ainsi 1,5 km sur route avant de retrouver un aménagement cyclable, le seul correctement conçu de tout le trajet, et qui est redoutable de simplicité : une bande de bitume longeant un champ à bonne distance des voitures.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et arrivé au rond-point des 4 Pilles je me retrouve à nouveau sur la départementale avec les voitures. Pour 500 mètres, et sur une portion limitée à 80 km/h. Avenue Simone Veil, je finis par rejoindre le « réseau » cyclable de Mâcon que l’on connaît bien : bandes cyclables collées aux places de parking, voies sur trottoir qui ne débouchent sur rien, sens interdit qui vous obligent à faire un détour…
Les cyclistes ne sont jamais contents
Je rigole, mais je suis sûr que le maire n’est pas loin de le penser. Plus sérieusement, rouler régulièrement à vélo dans Mâcon m’interroge sur le fossé qu’il y a entre les moyens consacrés au vélo par la Ville (et encore ce n’est pas non plus astronomique) et le bénéfice réel des aménagements financés pour les cyclistes.
Celui de la rue Vrémontoise a coûté la modique somme de 141 414 euros, dont près de 100 000 euros ont été réglés par la Ville de Mâcon. Pour un résultat bâclé et peu attractif. N’aurait-il pas mieux valu y consacrer un tout petit peu plus d’argent, du temps de réflexion et de consultation des usagers cyclistes afin de rendre un véritable service et y attirer plus de monde ? Car c’était bien là son objectif, d’après le Journal de Saône-et-Loire : « améliorer les conditions de circulation des vélos et en favoriser l’usage, afin de contribuer à réduire la circulation automobile et la pollution ».
La mairie de Mâcon laisse ainsi l’impression de réaliser des voies cyclables dans le seul but de grossir son « réseau » de 45 km, quitte à ce que celles-ci ne soient pas de bonne qualité puisqu’elles s’interrompent et sont globalement peu sécurisantes. Où est la logique, sinon de pouvoir communiquer sur une « ville plus verte » ?